Le virus du fruit brun rugueux de la tomate (ToBRFV) a été détecté pour la première fois au Québec à l’automne 2020. Sa progression sur les différents continents a été fulgurante depuis le premier cas répertorié en 2014 en Israël, et ce, malgré les mesures de surveillance et de lutte mises en place par les instances gouvernementales des différents pays touchés. Bien que le virus ne soit pas considéré comme un organisme réglementé par le Canada, l’ACIA porte une attention particulière à ce phytoravageur puisqu’il est très virulent et qu’il peut entraîner des pertes économiques importantes pour les entreprises.
Le ToBRFV fait partie de la famille des Tobamovirus, à l’instar du virus de la mosaïque de la tomate (ToMV) et du virus de la mosaïque du tabac (TMV). Toutefois, le ToBRFV outrepasse les gènes de résistance aux Tobamovirus présents dans la plupart des cultivars commerciaux de tomate et de poivron, y compris le Tm-22, qui s’est révélé très efficace dans le passé. Des efforts importants sont menés par l’industrie pour développer des variétés résistantes. Certains cultivars résistants commencent à faire leur apparition sur le marché.
Bien que le virus soit inoffensif pour l’humain, certaines de ses caractéristiques en font un ennemi des cultures redoutable, principalement pour la production de tomates en serre. D’abord, le virus cause des symptômes sévères aux plants. Il diminue leur vigueur et cause une coloration inégale des fruits. De plus, il se transmet par la semence et très facilement par contact. Finalement, il survit plusieurs mois sur les surfaces inertes et peu de produits désinfectants sont efficaces pour le détruire. Ces caractéristiques le rendent très difficile à éradiquer, et des pertes de rendement de 15 % à plus de 75 % des fruits non commercialisables sont rapportées.
Puisqu’il s’agit d’un organisme phytopathogène émergent, plusieurs incertitudes subsistent à son sujet, comme le degré de transmission du virus par les semences, l’efficacité des traitements de semences, l’efficacité des différents produits de désinfection et l’identification des hôtes du virus. Des travaux de recherche se poursuivent afin d’obtenir plus de réponses et de peaufiner les stratégies de lutte durables.
ToBRFV est hautement transmissible par contact. Il se propage d’une plante à une autre par les outils infectés, les visiteurs ou les travailleurs qui réalisent les opérations culturales, l’eau d’irrigation et, dans une moindre mesure, les insectes qui se déplacent de plant en plant, notamment les bourdons.
Il peut être introduit dans un nouveau site par les transplants, les greffons, les boutures, les semences infectées ou le personnel (ex. : manipulations de tomates infectées à la maison ou présence de celles-ci dans un repas). Il survivrait plusieurs années sur la matière organique comme les débris de culture, et plusieurs mois sur les surfaces inertes. Cette persistance, combinée à une faible efficacité de nombreux produits désinfectants, le rend difficile à éradiquer. Le risque et l’incidence d’une infection sont accrus dans les productions de tomate en serre compte tenu de la haute densité de plantation, des manipulations faites sur matériel végétal en pépinière et des nombreuses interventions sur la culture durant la période de croissance.
Les conditions optimales de stérilisation varient en fonction de la nature du matériel à traiter (chariots métalliques, substrat de laine de roche, plancher de béton) et de la concentration en particules virales. Par exemple, un terreau avec des racines vivantes contenant une charge virale forte nécessitera des températures et un temps de traitement plus élevés que des racines dégradées contenant une charge virale faible. Cette notion est importante pour les producteurs biologiques qui souhaitent stériliser leur terreau. Selon les plus récentes études, un traitement par la vapeur d’eau à 90 °C pendant 10 minutes ou à 100 °C pendant 20 minutes serait suffisant pour détruire le ToBRFV. Encore une fois, ces valeurs ne sont pas irréfutables. Il faut tenir compte de l'effet de la concentration virale et de l'évolution de la température dans le matériel à désinfecter.
Les symptômes varient en fonction de la sensibilité du cultivar, du stade de développement de la plante ainsi que des conditions environnementales et de culture. De plus, certaines plantes peuvent être infectées et exprimer des symptômes seulement lorsque les conditions sont sous-optimales, par exemple lorsque la luminosité baisse à l’automne et que la charge en fruits devient plus importante.
Plante entière : Flétrissement, perte de vigueur.
Feuilles : Les symptômes foliaires apparaissent d’abord sur les jeunes pousses dans le haut du plant : jaunissement et apparition de motifs en mosaïque de différentes teintes de vert. Les feuilles peuvent aussi être filiformes (étroites), froissées ou montrer d’autres malformations.
Fleurs : Décoloration des nervures des calices à un stade précoce du développement des fruits. Symptômes nécrotiques (brunissement et taches) aux extrémités des pédicelles, des calices et des pétioles.
Fruits : Maturation inégale ou partielle. Les fruits sont à la fois vert et rouge, ce qui leur donne un aspect marbré ou tacheté. Parfois, ils deviennent orange, mais ne tournent jamais au rouge. Des taches brunes rugueuses sur l’épiderme et des malformations comme de petites bosselures peuvent aussi apparaître. Ces altérations rendent les tomates impropres à la commercialisation. De plus, la perte de vigueur des plants infectés diminue le nombre de fruits produits et leur calibre. Parfois, il y a absence de fruits à cause de l’avortement des fleurs.
De nombreux virus sont susceptibles de causer des anomalies de coloration au niveau des feuilles et des fruits. C’est pourquoi des tests de laboratoire sont requis pour réaliser un bon diagnostic.
Il existe beaucoup de similarités avec le PepMV, un Potexvirus aussi transmis par contact. Il peut arriver que ces deux organismes soient présents simultanément sur l’hôte, et que cette co-infection crée un effet synergique sur l’expression des symptômes.
Le ToMV peut aussi être confondu avec le ToBRFV. Le ToMV cause des nécroses sur les feuilles des jeunes plantes et des mosaïques et des malformations sur les feuilles des plantes matures. Quant au ToBRFV, il occasionne des symptômes plus sévères au niveau des fruits. Le brunissement et la texture rugueuse des fruits appartiennent plus typiquement au ToBRFV. La plupart des cultivars de tomates offerts sur le marché sont toutefois résistants à ToMV, ce qui permet de les discriminer.
La marbrure physiologique (blotchy ripening) est un désordre abiotique causé notamment par des périodes de luminosité réduite, une faible conductivité électrique du terreau et un déséquilibre sur le plan de la fertilisation (excès d’azote et de calcium, manque de potassium). Cette affection entraîne une maturation incomplète des fruits, comme le fait ToBRFV. Dans le cas de la marbrure physiologique, les zones vertes plus ou moins étendues apparaissent principalement dans la zone pédonculaire. Les cultivars précoces dans des serres non chauffées sont plus vulnérables à ce désordre.
Comme pour la plupart des virus, il n’existe aucun produit phytosanitaire efficace contre le ToBRFV. La prévention est la meilleure attitude à adopter pour préserver l’innocuité des serres qui produisent la tomate et le poivron. Les traitements de semence et la mise en place de mesures de biosécurité strictes sont primordiaux pour limiter l’introduction ou la propagation du virus et réduire son incidence sur la production.
La propagation du virus par la semence est probablement le principal facteur expliquant sa très rapide dispersion à l’échelle internationale. Les Tobamovirus ne sont présents qu’à la surface des semences. Un traitement dans une solution de 2,5 % d’hypochlorite de sodium (eau de Javel) pendant 15 minutes (ou une concentration de 2 % pendant 30 minutes) permet d’éliminer le virus sans affecter le pourcentage de germination. Cette pratique peu coûteuse et rapide devrait être un des premiers moyens à mettre en place.
Pour ce qui est des transplants, demandez à votre fournisseur quel est le traitement de semences qui a été réalisé et assurez-vous que ce traitement est efficace contre le ToBRFV. Interrogez-le également sur les mesures de biosécurité qui sont en place au site de production. Les transplants introduits sur la ferme devraient être mis en quarantaine dans un endroit isolé le plus longtemps possible afin de s’assurer qu’ils ne développent aucun symptôme (décoloration du feuillage ou présence de feuilles filiformes). Il est important de réaliser un contrôle visuel du matériel minutieux avant de procéder à la plantation.
Diverses mesures de biosécurité devraient également être mises en place pour éviter l’introduction du virus. Les employés ne devraient pas amener de tomates ou de poivrons du commerce sur les lieux de travail, par exemple dans leur goûter. Informez le personnel et les visiteurs sur les précautions à prendre lorsqu’ils entrent sur le lieu de production (combinaison, gants et bonnet jetables, pédiluves, etc.).
En ce qui concerne les opérations culturales, il faut limiter les risques de transmission par contact. Évitez de déplacer du matériel et des équipements d’un site de culture à un autre et désinfectez les outils de travail avec un produit efficace contre ToBRFV. Notez que le virus n’est pas détruit par l’alcool. Les serres et les systèmes d’irrigation doivent aussi être nettoyés et désinfectés entre chaque cycle de production selon un protocole adéquat. Formez les travailleurs à reconnaître les principaux symptômes et effectuez une surveillance régulière de la serre afin de mettre en œuvre rapidement des mesures de protection si nécessaire.
Réalisez judicieusement des tests sérologiques sur bandelettes. Ils sont moins fiables que les tests qPCR faits en laboratoire, mais ils sont accessibles et offrent un résultat rapide. Les bandelettes sont utiles lorsqu’utilisées en complément à d’autres méthodes de dépistage et lorsque le résultat est interprété correctement.
En cas de suspicion ou pour confirmation, prélevez l’échantillon avec précaution et isolez-le dans un sac en plastique afin d’éviter tout contact avec les plants sains avoisinants. Envoyez-le à un laboratoire spécialisé pour identifier la cause des symptômes. Parallèlement, rassemblez le plus d’information possible sur votre itinéraire de culture afin de trouver l’origine de la contamination et de cibler les zones où le virus pourrait avoir été transmis. S'il se révélait positif à ToBRFV, déclarez rapidement le cas à votre réseau de professionnels et prenez les mesures nécessaires pour atténuer les conséquences qui seraient préjudiciables pour l’ensemble de la filière.
Pour obtenir de l’information complémentaire sur le ToBRFV et les différentes stratégies d’intervention, consultez la fiche technique rédigée par le réseau d’avertissements phytosanitaires.
https://www.agrireseau.net/documents/Document_100299.pdf
https://euroseeds.eu/app/uploads/2019/08/19.0474.1-Factsheet_ToBRFV.pdf
https://projectblue.blob.core.windows.net/media/Default/Imported%20Publication%20Docs/Tomato%20Brown%20Rugose%20Fruit%20Virus%20Poster05_03_2019_WEB.pdf
https://inspection.canada.ca/protection-des-vegetaux/especes-envahissantes/maladies/tobrfv/fra/1560266450577/1560266450826
http://ephytia.inra.fr/fr/C/26498/Tomate-Virus-des-fruits-bruns-et-rugueux-de-la-tomate-ToBRFV
https://aprel.fr/pdfPhytos2/1protocole_virus_contact_tomate_2019_v3.pdf
https://www.aphis.usda.gov/import_export/plants/plant_imports/tobrfv/tobrfv-survey-and-response-plan.pdf
https://www.mdpi.com/2223-7747/9/11/1615/htm
https://www.researchgate.net/publication/346499814_Disinfection_treatments_eliminated_tomato_brown_rugose_fruit_virus_in_tomato_seeds
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/epp.12711